Le vieux Ben

6 octobre 2010

René comme à son habitude ne moufte pas. Le gamin continue:

« Avec vot’pote vous en teniez une pas piquée des vers. J’en ai vu des murges, mais des comme les vôtres c’est direct le mémo pour fêter ça tous les ans. Dans vot’coltar z’arriviez encore à marmonner. « Benito Canobici, trouvez-moi Benito Canobici, pute vierge ! ». Alors moi, comme je suis pas la moitié d’un bézot, j’ai percuté. Vous êtes à cul avec Ben Carbon, le vieux cinglé de la cantonale 24. Je savais pas qu’il a des amis. Le vieux Ben, i’nous faisait marrer, quand j’étais môme. Des fois il sortait sa quéquette, il la foutait dans un torchon et il disait aux bourgeoises : « Allez, dites bonsoir à bébé. » Pas bien méchant. On peut aller le voir ensemble, si vous voulez. Il nous… »

René ne le laisse pas terminer. Il s’empare de son attaché-case, bondit sur la mobylette à défaut de l’enjamber, et s’enfuit dans un vrombissement de tous les diables, position de l’œuf pour la touche aérodynamique.


Luca

5 octobre 2010

René d’Évreux a la cervelle en porridge et les yeux en papillote. Il réussit à ouvrir les deux battants, se lève, puis mâte autour de lui. Il se trouve dans une petite cabane qui pue l’humidité, les moteurs mal réglés et l’hospice. Le poster sur le mur, est-ce un bouledogue en costume SM ou Adriano Celentano en loubard ? Autour de lui, tout un fatras de bombes de peinture, de bouteilles de chrome, et d’outils de seconde main. Sur le petit établi se dresse fièrement un écrou géant, Prix du Meilleur Boulonnage de France. Un peu partout traînent des bouteilles de gnôles. Derrière le bidon de fioul, Ricard. Sur l’escabeau, Suze. Sur le sofa en skaille, Walker. Au centre de la pièce, une mobylette kitée ninja, flammes de Jupiter sur le réservoir, rappelle à celui qui en douterait qu’on se trouve dans un garage miniature.

La lourde s’ouvre : c’est Pierrot. Il est accompagné d’un blondinet, croisement de cul-terreux et de judoka en kimono. Ses grands yeux bleus vitreux laissent penser que, sur une île déserte, il serait du genre à planter des chèvres et baiser des choux-fleurs.

« Ah, z’émergez enfin ! C’est moi qui vous a sorti d’la caisse ! Je m’appelle Luca ! »


La confrérie de Saint Jacques Va

1 octobre 2010

La confrérie de Saint Jacques Va est connue pour son fromage inodore,incolore et sans saveur, ce qui n’est pas d’une folle originalité dans le sud de la France. L’aube vient de se lever, trois moines rebaptisés frère Prof, frère Grincheux et frère Atchoum descendent le petit sentier qui les mène au marché de Moslet-la-Tatoune, les sacs à dos chargés de l’indigeste laitage.

Ils découvrent au détour du chemin une deux chevaux qui aurait réussi son triple salto avec coulis dans le ravin si un olivier n’en avait décidé autrement. Les trois bures ne savent pas trop comment réagir. Ayant fait vœux de chasteté orale (uniquement), impossible de proférer un quelconque « Non mais regardez-moi ces deux glandos. Dans sa grande miséricorde, le Saint Pater leur aura évité le trépas. Ah! Voici les objets du délit : ce grand gougnafier à lunette et son nabot se sont enquillé quelques bouteilles de casse-patte. Sauvez ce qui est sauvable mes frères ! Le Bon Dieu n’aime pas le gaspillage. »

Indécis, les moines sont finalement rassurés d’entendre le moteur pétardant d’une mobylette qui s’approche. Croyant être couvert par le bruit, le Frère Atchoum lâche une flouze à cent décibels. Les deux autres le considèrent gravement.


La Valda

30 septembre 2010

La Valda, ce n’est pas du petit calibre. Avec ses deux mètres, son costard romain sur mesure, ses cloques qui transforment sa trombine en carte des DOM TOM, son bras artificiel et sa respiration de cochon de laie asthmatique, on comprend vite qu’il ne faut pas lui chercher des noises. Il n’y a qu’à ouvrir son journal de naissance pour confirmer la chose : coureur du Vel d’Hiv qui a mal tourné, La Valda a fait parti du tristement célèbre Gang des Six dirigé par le futur boss du Milieu, Paul Patine dit « L’Empereur ». On ne sait pas trop quel incendie lui a donné son allure à faire pisser de trouille des petits enfants talibans pas sages, mais on sait que ses poumons à moitié ravagés lui donnent ce surnom de pastille contre la toux.

Pour compléter le tableau, l’Effroyable se coltine un électrolarynx qu’il visse sur son bras artificiel. Léa frémit en imaginant quelles autres prothèses peuvent prendre la place du micro.

Un Borsalino toque à la vitre.

« Il y a une deuche qui est partie en trombe quand on est entrés, chef. »

Une voix mécanique lui répond : « Prends deux gars avec toi et file à sa poursuite. »

Puis s’adressant à la jeune femme : « Maintenant, petite pétasse, tu vas me dire où sont les plans. »


Léa

29 septembre 2010

Léa Lorgana n’est pas fille à se laisser faire. Elle n’a jamais été foutue de manger aux heures correctes lorsqu’elle était gamine. Élevée par une flopée de filles au pair, elle est connue pour son esprit rebelle et ses frasques. Apte à s’encanailler, son avocat de père, un veuf qui lui voue un amour absolu, l’a toujours secrètement sortie des embrouilles. Figure locale du Parc de la Deran, elle provoque plus de sympathie que de dédain. Ses longues bottes blanches n’empêchent pas les riverains de l’appeler affectueusement (quoique dans son dos) la Petite Princesse. Révolutionnaire (mais jamais sans chéquier), militante des dernières causes à la mode et rebelle contre Figaro Madame, Léa ne ferait pas de mal à une mouche bleue crawlant sur un steak tartare.

Malgré ses hin hins et ses han hans, la jeune femme est conduite sans ménagement par les Borsalinos blancs dans l’un des véhicules aux vitres teintées. On l’assoit de force à l’arrière. À ses côtés, une grande silhouette prend une inspiration dans un masque à oxygène.

« La Valda ! J’aurais dû me douter que vous étiez derrière tout cela ! »


Les Borsalinos

28 septembre 2010

Quoique bouffé par la curiosité, Pierrot ne peut pas entendre ce que raconte la demoiselle à son vieil ami. Par dépit, il se tourne vers la vitre du bar. À l’extérieur, trois coupés noirs d’où sortent plusieurs hommes portant vestes et chapeaux de feutre blancs. Son radar à grabuges n’étant pas totalement hors-service, il s’approche de René.

« Excusez-moi mon ami mais ça commence à sentir le vilain… »

La jeune femme se lève soudain.

« C’est moi qu’ils cherchent ! Vite, cassez-vous !»

Le normand rafle un attaché-case caché sous la table.

« René, je compte sur toi ! »

Il siffle « Une nuit d’amour ne s’oublie pas », et entraîne Pierrot entre les cuisines et les toilettes (pour les différencier, il y a le petit logo). Derrière un poster du dernier SAS, un passage les mène vers l’extérieur. Le souffle court, le Binoclard et le Courtaud trottinent jusqu’à la vieille deux chevaux lourdée à quelques mètres du troquet.


Pierrot

27 septembre 2010

Pierrot est déjà là, accoudé au comptoir.

Air guindé et lunettes de surveillant, Pierrot, c’est le proctologue du protocole. Pierrot prétend connaître cinq langues, trois dialectes asiatiques et même un peu d’hébreux. Pierrot dit avoir été diplomate sous le Général. Pierrot affirme être un intime du sixième fils de l’émir Abdelkader Moussaglaoui IV. Pierrot n’est plus humain, c’est une langue (propos confirmés par M’ame Nicole, patronne des Nénuphars roses à Boulogne).

Le grand dadais palabre avec le taulier devant un ballon de Chateau-Cuby.

«Voici vos 5 francs patron !
– C’est 6, Pierrot. La faute à l’empreinte carbone: t’imagines pas le coût en transport pour ramener ce précieux breuvage de Roumanie. »

Le binoclard polyglotte se tourne vers René.

« Ah, vous voilà ! Quelqu’un vous attend mon ami. Une Demoiselle ! J’ai tenté de la distraire un peu, mais en pure perte. Elle m’a fait comprendre de manière peu urbaine que je pouvais m’introduire un majeur dans le séant, et ce jusqu’à la glotte. Ah ! Quelle belle jeunesse que voilà !»

René, qui ne souhaite pas en entendre plus et qui aime avoir les doigts propres, s’éloigne vers la jeune femme.


René d’Évreux

24 septembre 2010

René d’Évreux a un physique à se coiffer avec des aisselles. C’est un normand serviable, le genre de gars à qui tu confies ta caisse quand tu vas au troquet et ta femme quand tu pars en vacance. Il a aussi la qualité d’être discret comme une blatte. Celui qui réussira à le faire parler n’est pas encore né, et tout au plus on l’entend parfois siffloter des vieux airs d’antan comme « La tournante du pauvre Jean » ou encore « Le curé de Baden Baden ».

René il a ses habitudes. Quand le clocher de la sainte Catherine sonne un coup, c’est l’heure du café, puis du pousse-café, puis de la tournée, puis de la rincette, puis de la tarte dans la gueule. Le calva, c’est comme son bas-de-laine de Proust au René, l’élixir qui lui rappelle le pays. Mais en entrant au bar de La Tantine, le vieux mécano ne sait pas qu’à trop boire par nostalgie, on récolte les emmerdes.


Introduction

24 septembre 2010

Il y a un baille, dans une ville lointaine, très lointaine, du Sud de la France…

C’est la plus fameuse guerre des gangs. L’Empire du Milieu vient de se prendre une rouste par une bande d’apaches de la ZEP de Vavin IV.

Durant l’échauffourée, des petits malins ont réussi à dérober du lourd : les plans de l’Étoile de la Mer, un projet de complexe hôtelier grand luxe bardé d’un casino et de son coffre imprenable. Un lingot de béton qui écrasera le littoral : le rupin aime le contraste.

Léa Lorgana, fille d’avocat mais qui a quand même le cœur pur, a mis la main sur les documents. Portée par ses idéaux écologiques et son Vespa six litres au cent, elle décide de mettre les précieux plans en lieu sûr…